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Linda Muhugusa - Faculté de Droit

Le commencement de mon stage Ă  l’Institute for Human Rights and Development in Africa coĂŻncida avec le dĂ©but du mois sacrĂ© du Ramadan. La population de la Gambie Ă©tant musulmane Ă  90%, je me suis habituĂ©e Ă  Ă©couter les hymnes de la mosquĂ©e d’à cĂŽtĂ© et Ă  voir au loin des groupes d’individus s’agenouiller sur leur tapis de priĂšre pour le Asr, me signalant ainsi qu’il sonnait 17h. Je me suis rapidement retrouvĂ©e Ă©bahie par les sublimes vĂȘtements traditionnels qui, fabriquĂ©s de divers tissus aux couleurs hypnotiques, capturaient mon attention. Je me suis laissĂ©e charmer par la hĂąte des gens se prĂ©cipitant chez eux juste Ă  temps pour la priĂšre de Maghrib, marquant la fin du jeĂ»ne, et au calme paisible qui rĂ©gnait subsĂ©quemment dans les rues alors que tous Ă©taient occupĂ©s Ă  se rĂ©galer, entourĂ©s de leurs ĂȘtres chers.

Ainsi, assez brusquement, cette SĂ©nĂ©gambie m’apprivoisa. J’y ressenti dĂšs ma premiĂšre semaine un sentiment de ‘chez moi’. Mais lorsque l’on voyage, tant bien que l’on essaie de se mettre Ă  l’aise dans notre demeure temporaire, on prĂ©serve toujours un brin de voyeurisme. C’est pour cela que je m’attendais Ă  ce que des choses et des Ă©vĂ©nements, anodins pour les locaux, piquent ma curiositĂ© ; je prĂ©voyais et j’espĂ©rais ĂȘtre surprise. Cependant, je ne m’attendais pas trop Ă  la surprise que j’allais Ă©ventuellement recevoir : que des Ă©trangers dĂ©cĂšlent un Ă©lĂ©ment d’étonnement et de curiositĂ© en moi.

En effet, il semblait que ma simple présence résultait en une longue ligne de questionnement.

« Hey sister ! Where are you from? »
« What’s your ethnicity? »

Ça, j’y Ă©tais habituĂ©e. Partout oĂč je m’aventure, et mĂȘme dans mon MontrĂ©al Ă  moi, cette question m’a Ă©tĂ© posĂ©e. J’y rĂ©ponds toujours, avec fiertĂ©, que je suis Canadienne, et originaire du Cap-Vert et du Congo. Cependant, c’est la suite qui me surprit.

« Not the country, I mean which ethnic group? Are you Fula? Or Tutsi? »

J’étais bouche bĂ©e. Des 20 ans de mon existence, jamais cette question ne m’avait Ă©tĂ© posĂ©e. Ayant vĂ©cu au Canada toute ma vie, mon entourage n’avait jamais accordĂ© d’importance aux divisions fondĂ©es sur les ethnies, les peuples ou les tribus. J’étais Canadienne, Capverdienne, Congolaise ; que voulait-on de plus ?

MalgrĂ© mon laissez-faire initial, les commentaires sur la chose persistaient. Des Ă©trangers, aprĂšs un dĂ©pistage des traits de mon visage, m’arrĂȘtaient parfois pour me demander si j’étais Fula.

« No
 », je rĂ©pondais.
« Your face really looks Fula. Or maybe Tutsi, are you Tutsi?”
« No..? »
« Are you sure? »

À vrai dire, je n’avais aucune idĂ©e. Bien que plusieurs se questionnaient sur mes origines et mon identitĂ©, je n’ai jamais ressenti que ces questions avaient pour but de m’exclure, puisqu’elles Ă©taient posĂ©es avec l’attitude ‘teranga’ (hospitaliĂšre) propre Ă  cette rĂ©gion du monde. Cependant, le groupe ethnique auquel j’appartenais Ă©tait devenu une Ă©nigme autant pour ces Ă©trangers que pour moi-mĂȘme. Je savais bien qu’étant enfant d’un mĂ©tissage ethno-culturel, la rĂ©ponse Ă  cette question n’allait pas ĂȘtre simple. Mais je me suis tout de mĂȘme amenĂ©e Ă  investiguer la chose, pour essayer de dĂ©cortiquer les multiples facettes de mon identitĂ©, et afin de mieux identifier les composantes du crĂ©ole qui joue en moi.

Mon mĂ©lange culturel, alors qu’il attire l’attention des Ă©trangers, me sert cependant d’atout au travail, puisque la nature inter-africaine de mon stage valorise le multilinguisme et la comprĂ©hension de nombreux systĂšmes juridiques. Ma connaissance de plusieurs nations et mon dĂ©sir d’en apprendre plus sur les systĂšmes juridiques d’origine de mes parents s’étend presque sur tout le continent. Les diverses interactions que j’ai eues Ă  propos de « ce que je suis » m’ont permises de mieux comprendre la complexitĂ© des questions ethniques qui se posent, et m’ont donnĂ©es une meilleure idĂ©e du contexte culturel dans lequel opĂšrent les droits humains ici. Bien qu’emblĂšmes de la richesse et de la diversitĂ© de l’Afrique, les milliers d’ethnies constituant ce continent font aussi de ce dernier une terre complexe, et dans certains contextes, sont une source de divisions et de conflits.

En vrai, un mĂ©lange de culture est prĂ©sent dans le systĂšme juridique Africain Ă  part entiĂšre. Ayant Ă©voluĂ©e sous les influences eurocentriques de la structure de l’ONU, mais ayant des valeurs africaines Ă  sa genĂšse et en son cƓur, la structure continentale des droits humains est un amalgame de cultures au sens pur. En ce sens, ce droit est un peu comme moi


Ces interactions quasi-quotidiennes sur mon ethnicitĂ©, comme bien d’autres expĂ©riences qui ont eues lieu depuis le dĂ©but de mon stage, m’ont permises de rĂ©affirmer ce que je savais dĂ©jĂ  : voyager c’est apprendre Ă  se connaitre et Ă  connaitre les autres. C’est Ă©galement une opportunitĂ© de mieux comprendre comment les sociĂ©tĂ©s s’organisent, et ainsi, de mieux comprendre le droit.

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